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L' Ile

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les avis de Cinemasie

8 critiques: 3.75/5

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56 critiques: 3.44/5



Yann K 5 Pur chef d'oeuvre
Junta 4.25
Xavier Chanoine 4 La vraie mélodie du malheur.
Tenebres83 3.5
Ghost Dog 3.5 Sirène ou sorcière?
Ordell Robbie 3.5 Ilot intéréssant mais pas assez hospitalier
Alain 3.25
MLF 3
classer par notes | date | rédacteur    longueurs: toutes longueurs moyen et long seulement long seulement


Pur chef d'oeuvre

J'ai vu ce film pour la première fois entre trois heures et cinq heures du mat' après 12 h non stop de projection (à l'Etrange Festival). Donc, logiquement, n'importe quoi m'aurait fait comater. L'île m'a réveillé, revigoré, sidéré dès la première image, ce lac sorti du fin fond de nos rêves. Puis je suis allé de sidération en sidération, ébloui par cette mise en scène en totale liberté, affranchie de tous les genres et codes stylistiques, mais qui construit en même temps un univers cohérent. Cette île du titre, paradoxalement absente de l'image, sauf à la fin, est une sublime métaphore du sexe féminin qui gouverne le film.

Démarré dans le fantasme, continué sur tous les modes, L'île se termine dans un rêve obsessionnel comme on aimerait en avoir toutes les nuits... Truffé de références psychanalytiques, beau jusqu'à l'extase, ce film se permet en plus d'être drôle, dans ces dialogues savoureux sur les poissons. Le film est à revoir dix fois pour découvrir d'autres mystères. Ma théorie, c'est que l'homme et la femme se connaissait avant qu'il arrive dans le lagon, et même qu'ils ont commis le meurtre vu en flash-back ensemble. Je trouve ça beaucoup plus amusant ainsi.

J'avais conseillé le film à une amie en oubliant de lui préciser qu'une scène est traumatisante pour les filles (le jeu tout mignon avec les hameçons...). Alors voilà : L'île est aussi extrèmement violent, à l'image de l'amour le plus fou. Donc chef-d'oeuvre, terme à n'utiliser qu'une ou deux fois par an, pour celui-ci, c'est complêtement justifié.



25 juin 2001
par Yann K




La vraie mélodie du malheur.

Ca vous dit la pêche? En ce qui me concerne, moyen. Du moins, je n'irai pas passer mes vacances chez Hee-jin, propriétaire de cette immense surface aquatique renfermant dans sa "gueule" quelques cabanes où l'on peut venir pêcher et faire l'amour sans être dérangé par le premier venu. Une proprio muette, du moins le pense-t-on, qui emmène chaque personne vers leur cabanon afin qu'ils puissent s'adonner aux joies de ce sport. Le cadre est beau, apaisant, presque idyllique jusqu'à ce que les choses prennent une toute autre tournure. Après le meurtre accidentel d'une jeune prostituée, l'Ile change de cap vers celui du film d'épouvante à tendance romantique. Un film d'amour et de mort où le suicide côtoie la passion, où la torture et le viol se mêlent aux remords, dans une atmosphère surnaturelle. Il se passe des choses graves dans l'oeuvre de Ki-duk, contrastant avec le calme et la beauté de la nature.

Avec cette telle liberté, l'on pense que seule la nature peut être témoin des actes criminels de ses hôtes. Foutaise, toute cette délicieuse perversité est orchestrée par la propriétaire des lieux folle amoureuse d'un criminel venu se réfugier ici même pour fuir ses vieux démons. D'abord violée puis violeuse à son tour, Hee-jin va littéralement pousser à bout ses clients. Il y aura d'abord une tentative de suicide aux hameçons magistrale de sadisme, la séquestration d'une prostituée (du fait d'une trop grande jalousie), le meurtre involontaire du mac, etc. Et c'est en cela que l'Ile parvient à effrayer et fasciner. Cette mixture acide des pulsions les plus primaires (relations sexuelles sans une once d'amour) se construit crescendo et où l'on se dit que le premier meurtre sera facilement camouflé, le second un peu moins (un homme et son scooter), pour finir dans une issue à sens unique : la mort.

Film purement métaphysique, annonçant clairement le style définitif de son auteur, l'Ile est un vrai film piège. C'est pessimiste, cruel et pervers. C'est joli certes, très joli même et plutôt accompagné d'une belle musique, mais la terrible noirceur qui s'en dégage, jusqu'à nous faire ressentir de la pitié et de la compassion envers les victimes, provoque chez le spectateur ce sentiment tout particulier d'être lui aussi coupable dans l'histoire tant le "voyeurisme" prend ici tout son sens. Une excellente surprise donc que cette farce macabre emprunte d'une immense poésie, portée par des acteurs méconnus tout aussi impressionnants. Vous ne verrez plus la pêche comme avant. Mettez-vous...au golf.

Esthétique : 4.25/5 - Le décor est d'une grande pureté, certains plans fixes rappellent des toiles de maître (cabane + lac + brouillard). Musique : 4/5 - Une mélodie au piano assez régulière et dans le fond, terrifiante. Interprétation : 4.5/5 - Pas besoin de parole, juste d'une présence. En cela, c'est le carton plein. Scénario : 4/5 - Drôlement violent, tristement poétique. Le film de tous les contrastes.



10 octobre 2006
par Xavier Chanoine




Sirène ou sorcière?

C’est effectivement la question que l’on se pose lorsqu’on voit l’actrice principale de ce film ; un visage étrange, à la fois mystérieux et fascinant, marqué d’une balafre sur la joue, un mutisme obstiné, un corps de rêve et un esprit un peu dérangé, voici l’image que nous propose cette femme propriétaire d’un domaine de pêche un peu particulier composé de maisonnettes sur coussins gonflables en plein milieu de l’eau. Un endroit étrange choisi par Kim Ki-Duck qui va se révéler être une Venise miniature, et que n’aurait pas réprouvé le néerlandais Alex Van Warmerdam (auteur de films étranges comme Les Habitants ou Le P’tit Tony). Le seul moyen de liaison entre ces maisonnettes, c’est un bateau, conduit justement par cette femme dérangeante, qui épie ses locataires la nuit en rôdant à la nage sur ses eaux….Mais le tout va se corser lorsqu’elle tombera amoureuse d’un de ses clients. Décidée à le séduire par tous les moyens, et à se donner à lui corps et âmes sans passer par la case pute qu’elle pratique de temps en temps, elle va lourdement insister jusqu’à obtenir ce qu’elle veut !

Ce film plonge ses protagonistes en pleine nature, nature simplement perturbée par le bruit du moteur de la barque. Mais tous les sentiments de la nature s’expriment ici de manière bien plus radicale qu’ailleurs, presque bestiale. Le rapport de l’Homme avec l’eau est déjà très fort, et amplifié dans ce cas : c’est au milieu de l’eau que l’on vient s’isoler du reste du monde, c’est de l’eau que provient la nourriture (le poisson) voire même le danger (les crimes de la belle). Celui qui le lie aux animaux est quant à lui très cruel : dépeçages de grenouilles ou de poissons vivants devant la caméra, assassinat d’un oiseau, meurtre de vers de terre… De quoi s’estomaquer dans son fauteuil ! Mais le rapport le plus cruel est celui qu’entretient l’Homme avec lui-même, et notamment lorsqu’il s’agit d’amour. On ne semble considérer ce sentiment qu’à travers le sexe de manière très violente (d’où putes, viols…).

Et même lorsqu’il s’agit de sentiments véritables, la violence est bien là, prenant partie dans les faits et gestes des personnages. C’est à croire qu’il faille se faire mal pour pouvoir s’aimer (impression renforcée avec la sortie l’année dernière du film sud-coréen sado-masochiste Fantasmes). Ainsi, la propriétaire va commencer à s’attacher à son locataire lorsque ce dernier décide de s’enfoncer 4 crochets de pêche dans la gorge afin d’arracher sa langue, osant même lui faire l’amour alors qu’il pisse le sang. A l’inverse, pour retenir son amant, cette dernière tentera un geste désespéré, s’enfoncer ces mêmes crochets de pêche dans un endroit bien plus intime (que je vous laisse imaginer…) et tirant dessus un grand coup !! Mais à partir du moment où ils s’aiment profondément, ils largueront les amarres, abandonneront les liens qui les lient à la terre et vogueront très loin sur leur cabane flottante.

Ce film ne plaira bien sûr pas à tout le monde. Certains s’ennuieront profondément, d’autres s’énerveront devant la volontaire opacité du projet qui devient même ténébreuse lors de l’épilogue, mais moi je retiendrais quand même ce décalage fascinant qui y règne, ce huis-clos étouffant en pleine nature, cette galerie de personnages picaresques, ce regard troublant de l’héroïne, et la tentative de résumé de notre monde en un si petit théâtre. Une curiosité , une découverte.



17 mai 2001
par Ghost Dog




Ilot intéréssant mais pas assez hospitalier

S'il est réalisé par un cinéaste autodidacte ayant de son propre aveu vu très peu de films et qui n'en était à l'époque pas à son premier coup d'essai, l'Ile a du mal à ne pas faire penser aux classiques de la Nouvelle Vague japonaise des années 60 ( Onibaba, La Femme des Sables) qui décrivaient des etres hors le monde livrés à leurs pulsions primitives. On y retrouve le personnage de femme-piège typique de ce genre de cinéma.

L'Ile est-il pour autant une oeuvre du calibre des classiques cités plus haut? Parmi les qualités du film, on a une réalisation qui a gagné en cohérence depuis les précédents films du cinéaste. Les travellings distants y quadrillent un lieu à la fois ample et isolé du monde et on ne compte pas les plans filmés au travers d'une fenetre ou de l'eau ainsi que quelques reflets. En filmant la réalité au travers de ce type de prisme, Kim Ki Duk semble essayer de mettre un filtre pour mieux nous faire entrer dans la vision de personnages aux motivations assez opaques. SPOILERS Pourquoi sont-ils attirés l'un vers l'autre? Le jeune homme en fuite utilise-t-il les prostituées pour satisfaire son désir sexuel comme ses voisins beaufs ou pour rendre jalouse sa promise? Est-ce par affection pour l'une d'elles qu'il l'invite juste pour discuter ou pour susciter la jalousie? La tentative de suicide vient-elle du trop de solitude, de l'incapacité à assumer le meurtre vu en flash back ou de traumatismes plus profonds? FIN SPOILERS Sauf que si un film qui manque de mystère n'arrive pas à fasciner, ici ce choix formel est incapable de nous lever en partie le voile sur certains actes des individus que l'on regarde se mouvoir et cela demeure un frein à la capacité du spectateur à se sentir concerné par leur destin. Et les acteurs semblent essayer tant bien que mal de gérer les motivations opaques de certains actes de leurs personnages, l'effort est là mais pas suffisant pour susciter l'adhésion.

Ni empathie ni malaise ne surgissent du film. On touche là la limite du film OVNI qui à force de se vouloir hors normes risque de se mettre hors le spectateur. Et c'est bien dommage car ce qui se trame sous nos yeux ce sont deux etres qui s'attirent, se repoussent et sont des paradoxes vivants: ils peuvent autant communier avec la nature en étant en contact avec l'élément aquatique que la violenter par leurs déjections ou en matyrisant des grenouilles ou des poissons inaugurant ainsi un effet de signature de Kim Ki Duk. Ce paradoxe se retrouve dans l'idée de la violence primitive des premiers contacts comme ouverture vers la sensibilité qui s'exprimera par la suite. Cet aspect fera d'ailleurs beaucoup gloser lorsque le cinéaste le transposera dans la société avec Bad Guy, certains lui donnant une dimension politique qu'il n'a pas.

Et si les etres font violence à l'autre pour le séduire ils sont aussi capables de se faire violence pour qu'il les remarque. Sauf que les scènes concernant cet aspect ont une légèreté de bulldozer qui passerait dans un mélodrame mais sont genantes ici: là où une partie du film est trop opaque, la répétition des scènes où l'on "mord à l'hameçon" est au contraire un peu trop transparente et simplifie le discours intéréssant du film. Quant aux intrigues parallèles concernant les va et vient des prostituées ou de la police dans les lieux, elles occasionnent quelques longueurs et n'ajoutent rien thématiquement à un film qui aurait gagné à etre beaucoup plus centré autour du jeune couple en constitution. La musique, si elle n'est pas mauvaise, est aussi responsable de l'impact amoindri du film car elle n'a pas la force évocatrice des scores de TAKEMITSU Toru et est plus proche de ce que ferait un compositeur de musique d'émissions sur la nature s'il avait du talent que d'un grand score cinématographique. Le film recèle néanmoins quelques beaux moments de cinéma, notamment la tentative de suicide du début et surtout son final splendide en forme de métaphore de la puissance de la féminité qui devrait faire réfléchir à deux fois ceux qui appliquent de -mauvaises- grilles de lecture féministes à l'oeuvre du cinéaste.

Le mystère est ce qui peut faire la puissance de certains classiques car quelque soit le sens dans lequel on puisse les tourner et les interpréter il y aura toujours une part échappant à l'interprétation (les films de Lynch par exemple). Sauf qu'ici cet aspect, s'il est rafraichissant par rapport au psychologisme rampant d'un certain cinéma d'auteur français, aboutit à un film un peu trop tourné sur lui-meme. Dans un Adresse Inconnue inégal et Bad Guy, Kim Ki Duk aura progressivement recours à des dispositifs faisant du spectateur un voyeur en puissance et fera ainsi partager au spectateur sa quete de soi pas toujours reluisante mais passionnante. Reste que l'Ile marque un net progrès par rapport aux précédents films du cinéaste et demeure au-dessus du tout-venant coréen. Ses promesses et sa controverse critique auront en tout cas été un des éléments qui auront permis à la Corée de prendre sa place sur la mappemonde cinéphile française.



19 janvier 2003
par Ordell Robbie


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